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La chaise pliante
26 avril 2012

Ce que m’a enseigné le traitement médiatique de la catastrophe nipponne.

Ce que m’a enseigné le traitement médiatique de la catastrophe nipponne. Les Japonais : citoyens rêvés du capitalisme ?

 

Depuis le début des catastrophes japonaises, l’éternel rappel du décalage entre héroïsme nippon et hystérie occidentale (et plus particulièrement française) me dérange quelque peu. Il suffit que j’entende ce vibrant hommage au stoïcisme (supposé ?) des habitants de l’île dans une bouche gouvernementale pour que la paranoïa me gagne : va-t-on nous annoncer ensuite que les fainéants de Français devraient prendre exemple sur un peuple qui prend en moyenne 9 jours de congés par an ?

Le traitement de la crise japonaise n’aura de cesse de m’étonner, surtout si on la compare à celui des récentes catastrophes à Haïti ou au Pakistan. On n’a pas vu, dans le flot invraisemblable d’images qui nous abreuve depuis le début du séisme, une seule photographie des dégâts humains. Plus de 20 000 morts, et pas un cadavre. Le Japon n’offrira pas ses défunts en pâture à nos médias pourtant friands de charnier. Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre, mais je m’interroge sur la véritable raison de cette absence contrôlée : dignité ? Ou négation de l’ampleur des dégâts ? J’avoue que les raisons qui poussent une petite île située sur une faille sismique à investir dans l’énergie nucléaire sans qu’une voix, sans qu’une plainte, sans qu’un reproche ne s’élèvent même après la catastrophe échappent totalement à l’alarmiste française que je suis (décalage culturel impossible à combler, sans doute) : Sepuku géant ? Ou inconscience des risques et des conséquences réelles ? C’est une question que je me pose : les Japonais ont-ils réellement conscience, aujourd’hui, que la catastrophe nucléaire n’est pas juste en train d’être évitée, mais qu’elle est déjà arrivée ? Que quoiqu’il arrive, même en refroidissant le réacteur 1 ou 2 ou 3 ou 26, les conséquences de ce qui s’est déjà passé vont être dramatiques pour une bonne partie de la population ? La voix des expatriés français sur Rue 89 m’en fait douter.

Certes, c’est un fait connu (qui m’a souvent frappée lorsque je vivais à l’étranger), les Français sont bruyants et contestataires. En deux mots, grandes-gueules. D’autant plus que les occidentaux, en bons individualistes forcenés et incurables, seraient terrorisés par l’ombre d’une apocalypse. Nos propres compatriotes exilés nous reprochent aujourd’hui notre précipitation sur le débat du nucléaire. Mais cette urgence est facilement explicable : l’occasion fait le larron. Comme le disait si bien le professeur à 3 bras des Inconnus dans leur sketch sur le nucléaire, « c’est une question de confiance ». La question est là : Avons-nous confiance ? Aujourd’hui, après une succession interminable de scandales sanitaires, après le sang contaminé, la vache folle, l’amiante, le nuage de Tchernobyl, ou encore les récents déboires pharmaceutiques, après une accumulation d’affaires financées, occultées, encouragées par des gouvernements successifs, presque plus personne n’aurait le toupet d’avoir confiance en une classe dirigeante corrompue et décomplexée. Les Français, qui échouent à modifier la donne par leurs votes, et se méfient de l’air qu’ils respirent autant que des tomates qu’ils mangent, basculent peu à peu dans la psychose. Il semble qu’on comprenne enfin que le capitalisme d’aujourd’hui ne se résume plus au paternalisme Gaullien ou à la bonne vieille protection féodale. Que le néo-libéralisme ne se contente plus de laisser mourir les plus pauvres, ou d’exploiter d’autres continents moins chanceux : il fait de l’argent sur tout, à n’importe quelle condition, et ne s’arrête pas aux frontières. C’est fini, le temps où les petits Africains mourraient pour nous. Nous ne sommes plus à l’abri de notre propre système.

Ainsi, la réaction épidermique des Français à la crise japonaise n’éveille en moi aucun mépris. Car elle est le symptôme d’une psychose pas si hallucinatoire que ça. Et tant que les Français hurleront à l’apocalypse, ergoteront des mois dans d’infinis débats sur absolument tout, je ressentirai une espèce de sécurité démocratique, bien que sans doute illusoire.

L’honneur japonais est certainement noble. Tant mieux pour eux. Cela ne fait pas des Haïtiens, des enfants pakistanais, ou de quiconque qui pleure tout fort la perte de ce qu’il avait de plus précieux au monde des mauviettes impudiques. A l’heure où les puissants font de lourdes insinuations sur notre façon de protester, de partir à la retraite, de bénéficier de la sécurité sociale, d’être au chômage longue durée, en un mot de coûter cher et d’en plus nous permettre de râler. A l’heure où des escrocs notoires flirtant avec des dictatures se permettent de nous donner des leçons de morale, je revendique le droit de n’être pas stoïque. D’hurler de peur si je suis terrorisée. De mourir, si l’envie m’en prend, en un long râle pénible à entendre. D’être dévastée par la perte d’un être cher. De m’alarmer de l’état du Monde. De taper du poing sur la table, constamment et pour un rien. Pour tout dire, l’honneur est une chose masculine que je n’ai jamais saisie. Moi qui, en plus d’être une grande-gueule française, ne suis qu’une pauvre femme, je crois encore naïvement que la brève existence que le hasard nous a donné de vivre est la seule chose que nous possédons en ce monde.

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