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La chaise pliante
29 janvier 2016

Orthographe : le point de vue d’une professionnelle - Plaidoyer anarchiste pour le respect du vivant

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Avertissement : il y a probablement des fautes dans ce texte. Je n’aime pas me relire parce que je passe déjà mes journées à relire les trucs des autres. Merci de votre clémence.

 

 

Quelle idée. Après avoir parlé de révolution, je parle d’orthographe. Mais ne croyez pas que le thème est anodin. Notre usage de l’orthographe, notre attitude face à l’usage de l’orthographe, sont, je pense, révélateurs de nos statuts sociaux, de nos conceptions philosophiques et de nos idées politiques. L’orthographe revient régulièrement sur le tapis, notamment sur facebook où, à coup de perles du bac, de corrections doctorales et autres dîners de cons modernes, elle occasionne sourires narquois, honte populaire et revendications rebelles. Qui n’a pas vu un débat politique ponctué de « apprenez d’abord à écrire le français, appeler prend deux p et un l ». Avec souvent, en dessous, une correction du premier correcteur et cette surenchère du mépris : « c’est celui qui dit qui y est, c’est pas toi qui me méprises, c’est moi qui te méprise ! » … À défaut d’arguments, l’orthographe fait office d’outil de jugement ultime sur la valeur d’une personne, sur son intelligence, sur sa légitimité à débattre… voire même à siéger dans les rangs de la société française : ne pointe-t-on pas perpétuellement du doigt ces immigrés qui refuseraient de s’intégrer parce qu’ils ne parlent pas un français châtié ou ces soi-disant « jeunes dégénérés » d’aujourd’hui lobotomisés par leurs iPhone et Nabilla, avec leur « langage sms » ? « Et dire que ça va voter… », soupirait souvent en nous regardant ma prof de français de troisième.

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Parce que j’ai bac+5 en Lettres, parce que j’ai toujours adoré la linguistique, et surtout parce que je pratique aujourd’hui le métier ultime de correctrice, j’ai un statut privilégié par rapport à tout ça : on me prend souvent à témoin de la « bêtise » de ceux qui écrivent ou parlent mal le français. Ou, au contraire, on bredouille des excuses quand on apprend mon métier parce qu’on est nul en orthographe et qu’on a peur que je sois personnellement offensée par un oubli de « s » au pluriel.

Mais ce que les gens savent peu c’est que non seulement je me foutais déjà complètement de l’orthographe à l’époque où je m’amusais à faire les dictées de Pivot au collège et je pratique aujourd’hui ce métier sans passion aucune, bien au contraire. Mais aussi, comme un astrophysicien qui se sent de plus en plus petit à mesure qu’il comprend l’immensité et la complexité de son sujet d’étude, je me fous de plus en plus de l’orthographe à mesure que j’avance dans l’étude de la langue française.

Voici donc quelques réflexions philosophiques sur le langage, en tant que « professionnelle de l’orthographe » :

  • Personne n’est vraiment bon en orthographe. C’est ce que j’ai appris en apprenant le métier de correcteur. Ce qui m’a rendue apte à faire ce métier n’est pas que je sois infaillible en orthographe : personne ne l’est ! Ce qui m’a rendue apte à faire ce métier c’est ma passion pour la lecture. Le fait d’avoir lu pendant des années un livre par jour m’a donné un atout : la capacité à douter de l’orthographe d’un mot de manière photographique... « tiens, yavait pas qu’un seul p à laper … ? »  Car être correcteur, c’est entrer dans l’ère du soupçon. On vérifie tout. Absolument TOUT. Certains jours je suis dans un tel état de paranoïa que je vérifie s’il y a un t à « chat ». Et il y a des choses que je ne sais toujours pas, et que je vérifie tous les jours, depuis 5 ans. C’est plus fort que moi, je ne réussis pas à l’enregistrer. Et puis je n’ai jamais été excellente en orthographe. J’écris toujours pardi avec un s comme paradis, je n’arrive jamais à savoir quelle est la tâche qui a un accent circonflexe, je suis incapable de deviner où il y a un seul m et où il y en a deux, je suis en générale une vraie queue avec les lettres doublées, entre autres. Mais en devenant correctrice, j’ai appris que personne n’était excellent en orthographe. Pourquoi ? Parce que la première chose qu’on fait quand vous avez corrigé un texte, c’est de le faire voir par un second correcteur, qui y trouve encore des fautes. Puis un troisième, un quatrième… tous trouvent encore et toujours des fautes que vous n’aviez pas vues, ni celui avant ni celui après vous. Jusqu’au lecteur, qui vous écrit pour vous faire part d’une ou deux fautes d’orthographe dans sa revue préférée : « inadmissible, ça se perd le respect de la langue française »… Ce qu’on apprend vraiment quand on devient correcteur ? À arrêter de péter plus haut que son cul et de se croire infaillible. Je ne saurais que trop conseiller l’exercice à nos profs d’orthographe en herbe sur facebook.

 

  • Le français est une suite d’erreurs et de décisions arbitraires. Ceux qui ont étudié l’ancien français le savent. Exemple parlant s’il en est : un cheval, des chevaux. Mais pourquoiiiiiii ?

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Et bien parce qu’en fait, à la base, on disait un cheval, des chevals. Sisi ! Sauf qu’en parlant vite, avec le s derrière (car à l’époque on prononçait toutes les lettres comme en anglais, ou plutôt on écrivait que ce qui se prononçait, puisqu’on commençait tout juste à écrire cette langue « vulgaire » autre que le latin) le l s’est moins dit, on a fait un l vocalisé un peu à la manière du Brasiouuu du carnaval de Rio. Essayez de dire très vite « chevalsse », vous verrez, vous finirez par dire « chevaosse », voire « chevausse ». Alors donc on s’est mis à dire « chevaous » ou « chevaus ». Mais me direz-vous, d’où sort ce maudit x ? Et bien c’est là le plus drôle tenez-vous bien : les scribes de l’époque, pas loin du langage sms, se trouvaient des ptis tricks pour écrire plus vite. Dans le genre, « x » était une abréviation pour « us ». Donc on s’est mis à écrire « chevax ». Et ça ça claque, si c’était que moi on dirait tous « chevax » parce que ça a un côté klingon hyper eighties que j’adore.

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Bref, ya un ou deux scribes qui se sont gourés. Genre au lieu d’écrire chevax, ils ont écrit chevaux. Et on y est. Une simple faute de frappe en langage sms, voilà l’histoire de « un cheval, des chevaux ». Après, ya des momies qui se prenaient pour les maîtres du monde et qui s’appelaient les académiciens qui ont décidé tous seuls comme des grands de comment qu’on devait écrire le français correc’. Alors ils ont décidé plein de trucs comme qu’on dirait « soleil » comme le roi et pas « souleil » comme 90% de la population. Et puis que l’orthographe serait compliquée parce qu’on devait pas écrire comme ça se prononce mais comme les mots grecs ou latins d’où que ça vient. Et puis comme on était dans la première et belle logique nationaliste de Louis XIV et qu’il fallait créer une nation française, cette réforme des bases de la langue a gracieusement accompagné la répression systématique de tous les régionalismes culturels, linguistiques ou politiques.

 

  • Une langue vivante n’appartient à personne. Une langue vivante est insaisissable.

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Ce qui m’amène au plan politique : je disais que notre usage de l’orthographe, notre attitude face à l’usage de l’orthographe, sont, je pense, révélateurs de nos statuts sociaux, de nos conceptions philosophiques et de nos idées politiques. J’en veux pour preuves ces sempiternelles disputes sur le sujet entre mon père et moi. Comment à travers, notamment, l’idée insignifiante de réforme de l’orthographe peut se jouer en fait l’éternel affrontement d’un Républicain nationaliste qui a fait l’école militaire et d’une anarchiste allergique à l’autorité. Pourtant, aucun de nous deux n’est particulièrement attaché à la belle orthographe classique et tordue de notre langue française. Au contraire : mon père pense qu’il faut à tout prix appliquer la réforme qui enlève tout un tas de ces subtilités inutiles, tout un tas d’accents circonflexes et de lettres inaudibles qui rendent le français impossible et élitiste. Quant à moi, la grandeur de notre langue nationale à la Bernard Pivot, en bonne anarchiste que je suis, je me torche le cul avec. Alors pourquoi n’est-on jamais d’accord ? Parce que mon père pense que « la loi c’est la loi », et que vu que les mêmes académiciens qui nous avaient dit qu’il fallait écrire des « chevaux » ont soudainement décidé, ou plutôt gracieusement concédé au petit peuple qui s’obstine à faire des fautes, qu’on allait simplifier la chose, alors tout le monde doit se soumettre et « appliquer la réforme ».

Or, ce que j’essaye de faire comprendre à mon père sans jamais y parvenir, c’est qu’une langue vivante ne se soumet pas à une réforme. Qu’une langue vivante est comme son nom l’indique « vivante » et se contrefout subséquemment des momies, académiques ou non. Qu’il aura beau tempêter contre les anglicismes et autres mots-nouveaux-inutiles-parce qu’il-existe-l’équivalent-en-français, les formules absurdes car redondantes ou injustes grammaticalement comme « au jour d’aujourd’hui », les tics de langage journalistiques… il n’y changera rien. Les jeunes, dieu soit loué, inventeront toujours des formules neuves qui, si elles semblent étranges ou alambiquées pour les vieilles oreilles, suivent une loi millénaire, une des rares lois qui régissent une langue vivante : la SIMPLICITÉ.

 

Imaginez deux routes pour aller d’un point A à un point B. L’une permet d’être à B en une heure mais elle est interdite. L’autre, autorisée, fait 2 jours de marche. Vous ne pourrez jamais empêcher les nouvelles générations d’emprunter la voie numéro 1, que vous le vouliez ou non. Vous pourrez décourager quelques individus, quelques générations en les punissant. Mais la génération suivante retentera, encore et encore, jusqu’à ce que vous ayez légalisé la voie la plus simple. Il en est de même du langage. Le dictionnaire peut tenir bon sur ses acquis, il finit toujours par intégrer les anglicismes qu’il condamnait quelques années avant. Parce que sinon, il devient un dictionnaire d’une langue étrangère, d’une langue morte. C’est là le fondement de ma dispute avec mon père : mon père pense que le peuple doit s’adapter à la réforme, à la loi académique. Je pense que la loi académique doit s’adapter au peuple. Je pense que la langue est un bien populaire, un de nos biens les plus précieux, un vrai trésor qu’on ne peut mettre en coffre. Que la langue est sauvage, indomptable, et jamais laide, jamais pauvre. Et c’est un avis très politique. Mon père pense que le peuple doit se conformer à la loi, servir la loi. Je pense que la loi doit se conformer au peuple, servir le peuple. Et que la désobéissance est synonyme de créativité, de vie et de démocratie.

 

 

 

Tout à l’heure je regardais un article sur les tics journalistiques. Il commençait en ces termes : « Oui à la liberté d’expression… mais avec une réserve : pour s’exprimer, encore faut-il savoir le faire. La multiplication des médias (télévisions, radios, Internet, presse gratuite) permet à tout le monde d’avoir un avis sur tout. » Pourquoi permettre à tout le monde d’avoir un avis sur tout serait mal ? Depuis quand et surtout de qui « tout le monde » devrait-il attendre une permission pour avoir un avis « sur tout » ? Cette citation est assez parlante : permettre à tout le monde d’avoir un avis sur tout, c’est abandonner l’aristocratie des savants, la domination de ceux qui ont, entre autres, une bonne connaissance de la langue française… là où mon père était simplement un républicain orthodoxe, l’auteur de cet article est carrément un oligarque du savoir…

Alors voilà où la « professionnelle de l’orthographe » en est : continuons à parler et à écrire sans complexes, sans honte, en transgressant les règles, que ce soit volontaire ou non. Personne n’est plus apte qu’un autre à vous dire comment parler ou écrire votre langue. Votre faute d'aujourd’hui sera peut-être la règle de demain. Je ne dis pas qu’il faut absolument faire des fautes ou parler chacun une langue incompréhensible pour d’autres. Mais une faute d’orthographe récurrente est toujours significative d’une évolution nécessaire de la langue. Une expression nouvelle quelle qu’elle soit est toujours un enrichissement linguistique, même si c’est de l’anglais, de l’arabe ou du manouche. Réjouissons-nous de ce marasme d’orthographes et de langages qui constituent notre jolie langue métissée. Et n’ayons plus peur des tenants du savoir : la langue française est à nous autant qu’à eux !

Plus je lis des réflexions sur l’orthographe sur facebook, plus j’en entends au quotidien, et plus je me dis : dingue ce que le gens sont capables d’envoyer comme flux de mépris (c’en est presque odorant) quand il s’agit de respect de l’orthographe.  Le respect de l’orthographe. Me fait marrer ce terme. Et si on commençait à respecter les personnes plutôt que l’orthographe ?

 

 

 

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Commentaires
J
Alors, déjà, ce n'est pas parce qu'on est correcteur, que tout ce qu'on va dire sur l'écriture sera vrai, ou devra être considéré comme tel. <br /> <br /> Quelqu'un qui fait exprès de mal écrire alors qu'il pourrait faire des efforts pour se rendre compréhensible, ce ne sera peut être pas une personne foncièrement bête, mais pas non plus une flèche dans la majorité des cas. <br /> <br /> Il y a des exceptions, certes. <br /> <br /> Pourquoi? <br /> <br /> Simplement parce qu'il y a (au moins) 2 styles de personnes qui font exprès de faire des fautes : <br /> <br /> 1) ceux qui le font, par indifférence et fainéantise (l'extrême majorité)<br /> <br /> 2) ceux qui le font, parce qu'ils ont naturellement du mal (une très infime minorité), lié à un handicap ou à une difficulté particulière. <br /> <br /> Quoi qu'il en soit, quasiment tout le monde pourrait écrire correctement si tout le monde se donnait la peine d'ouvrir un Bescherelle ou un dictionnaire, ou même beaucoup plus simplement d'utiliser un correcteur d'orthographe et de grammaire.<br /> <br /> C'est un réel signe d'intelligence de comprendre qu'écrire avec précision permet de mieux se faire comprendre, et donc d'avoir plus de chances d'entamer un dialogue et de le conserver sur la durée. <br /> <br /> Tout comme c'est un réel signe d'intelligence de comprendre que l'acte de faire exprès d'écrire mal, ça fait perdre des millions aux entreprises françaises tous les ans. <br /> <br /> Oui personne n'est susceptible d'écrire sans faire aucune faute en toute circonstance, mais en même temps, ce n'est pas du tout sur ça qu'on parle quand on parle d'écrire correctement et de faire attention. <br /> <br /> Il s'agit ou non de faire l'effort d'écrire correctement, et pas contrairement aux idées reçues d'écrire toujours parfaitement et de pouvoir ainsi faire des leçons aux autres. (Ce qui est juste absurde).
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S
Bonjour, je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point : "Mais une faute d’orthographe récurrente est toujours significative d’une évolution nécessaire de la langue". Une des fautes les plus récurrentes est d'écrire "c'est" "ces" ou "ses". Fusionner deux mots, à savoir un sujet et un verbe, en un seul ne me paraît pas être une évolution nécessaire de la langue...
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J
Je suis assez d'accord avec vous, même si une partie de moi résiste à voir se désagrégé toute la structure en place. Je crois surtout qu'il est grand temps que la langue écrite rejoingne la langue orale. Une chose m'a fait sourciller, c'est quand à tout le monde et leur avis sur tout... Le danger ici, c'est quand des avis prenne de l'importance, voir de l'autorité, sans pourtant se baser sur des faits adéquats. C'est ça le danger. Donner trop de voix à des opinions sans fondemments... En ce sens, il convient à tous d'apprendre à rester humble sur ce que nous sommes habilité ou non à opiner. Je crois que c'est important de redonner de la valeur au droit de parole, même s'il ne devrait exclure personne.
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C
les plus grands auteurs ont pris des libertés avec la langue française. Oui, elle est vivante et je me permets de la faire évoluer comme cela m'arrange (mêm esi je ne suis pas un grand auteur, déjà, je suis une auteure, ou peut-être une autrice, autre débat). Pourtant je m'attache à l'orthographe que j'ai appris dans la douleur.<br /> <br /> J'aime parler à mes lectrices au féminin même s'il y a une minorité d'hommes. Ils sont trop peu nombreux pour que «le masculin l'emporte toujours».<br /> <br /> J'aime utiliser l'anglais, l'arabe et le japonais pour suivre les pensées de mes personnages tels qu'ils sont. <br /> <br /> J'aime zaguer «ne» dans un dialogue.<br /> <br /> Je me permets même parfois d'inventer des mots s'il me semblent bien plus appropriés.<br /> <br /> Et je m'en fous des règles. <br /> <br /> Pas seulement parce que je suis libertaire et féministe.<br /> <br /> Seulement parce que l'histoire passe avant, quoi qu'il arrive.<br /> <br /> Et comme l'orthographe est un code qui garanti la lisibilité d'un texte et donc la transmission de l'histoire. En règle générale, je la respecte.<br /> <br /> À la lettre. Et je ne lui permet pas d'évoluer. Ou alors je l'interprète.<br /> <br /> La clef sera de maison.<br /> <br /> La clé sera USB.<br /> <br /> <br /> <br /> Finalement, chaque auteure tisse un répertoire de signes commun avec ses lectrices. (ou vice versa au carré)<br /> <br /> bonne corrections à toi ;)
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B
Je ne partage pas du tout votre opinion.<br /> <br /> Je fais moi même des fautes, et je suis bien content quand on me les signale. Je prends le temps de corriger mes fautes et de remercier mon correcteur.<br /> <br /> La baisse du niveau scolaire général en France trouve probablement sa source dans les lacunes de plus en plus grandes concernant l'apprentissage de la langue. Pensée non structurée. Mauvaise compréhension des problématiques. Difficultés à exprimer ses idées.<br /> <br /> Le respect de l'autre dont vous parler, c'est les conforter dans leur situation.
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  • Dédié à l'écriture avant d'être dédié à la littérature, ce blog est une auto-exhortation au travail quotidien.Textes anciens ou nouveaux, essais et poèmes viendront y chercher une oreille aussi hypothétique qu'intransigeante.
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