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La chaise pliante
4 février 2016

Réponse aux commentaires à propos de l'orthographe

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J’avais commencé à répondre à un commentaire sur cet article ce matin, et puis ma réponse a pris de plus grandes proportions car j’ai voulu être exhaustive, notamment parce que nombre de commentaires me disaient la même chose. Pour résumer grossièrement ce qui ressort souvent de vos commentaires, c’est un truc genre : « oui c’est intéressant mais quand même si tout le monde parle comme il veut on se comprend plus ».

Je mets donc ici ma réponse à un commentaire en particulier, si ça peut répondre aux questionnements des autres. Merci en tout cas à tous pour l’intérêt que vous portez à ce petit article que je pensais insignifiant et peu prédisposé à passionner les foules. Je précise si besoin qu’il ne s’agit nullement de vouloir dire autre chose que mon humble avis tout subjectif sur la question.

Bonjour,

Je ne crois pas avoir dit où que ce soit qu’il fallait instaurer "la relativité de la grammaire ou de l’orthographe", que "chacun adapterait à ses propres envies". C’était justement pour me prémunir de ce types de soupçons que j’ai écrit la phrase « Je ne dis pas qu’il faut absolument faire des fautes ou parler chacun une langue incompréhensible pour d’autres. »

Si je parle de « transgresser les règles », c’est bien parce que j’admets l’existence et la nécessité d’une règle.

Comme on soupçonne souvent l’anarchie d’aspirer à un chaos sans lois alors qu’il s’agit d’une théorie politique sérieuse qui envisage la règle sociétale sans hiérarchie et sans oppression, on me fait dire sans cesse, dans tous les commentaires, pratiquement, que je veux une langue française chaotique livrée au bon-vouloir de chacun (et dieu sait que ce bon vieux chacun est inculte !).

Déjà, je ne « veux » rien puisque je pense que ni moi, ni vous, ni aucun académicien n’a de prise sur cette matière vivante qu’est la langue.

Ensuite, ce que j’essaye de souligner dans ce texte, et c’est flagrant dans votre commentaire, c’est cette illusion hallucinante qu’on doit régir la liberté de parler une langue par son peuple. Qu’on (mais qui est ce « on » je me demande, vraiment ? les académiciens ? les politiques ? les profs de français ? le Français qui écrit bien et se croit supérieur à son voisin analphabète ?) sait mieux que « les gens » comment parler une langue qu’ils pratiquent pourtant tous les jours avec succès. Oui, car même en langage SMS, aujourd’hui, les gens se comprennent, et ils ne font pas que communiquer, ils utilisent et créent de la matière linguistique, des images, de l’humour purement lexical, de la poétique. Et je pense qu’une grande majorité de la population n’a jamais entendu parler de Conrart ou de Benveniste et parvient cependant parfaitement à pratiquer la langue française chaque jour.

L’effort d’appropriation d’une langue se fait encore et toujours, et elle se fait très bien dès le plus jeune âge. Elle se fait même chaque jour, il suffit de voir à quelle vitesse les médias diffusent des expressions à la mode, à quelle vitesse les jeunes intègrent, réutilisent et élargissent une nouvelle expression d’argot et les apports d’autres langues. On devrait les recenser chaque années, y en a un paquet. L’effort d’appropriation, c’est aussi l’effort d’adaptation. Et je ne saurais dire qui de l’académicien qui peine à se faire comprendre par « les masses » avec son beau vocabulaire issu des sixties (et je parle là des années 1860, pas 1960 ;) ) ou du rappeur qui emploie un vocabulaire tellement métissé et fouillé dans les thématiques modernes qu’il est quasi-incompréhensible des baby-boomers, lequel de ces deux individus parle le « mieux » le français ?

Bien évidemment que les fautes, surtout certaines, gênent la compréhension et empêchent la communication. Bien évidemment que parfois, quand la syntaxe est tout bonnement incompréhensible, cela dénote une non-maîtrise de la grammaire (car finalement une faute de grammaire est bien plus préoccupante qu’une faute d’orthographe !) et du coup une pensée mal ordonnée… Et ça c’est ennuyeux, car « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » et parce que chacun devrait avoir le droit et le temps de comprendre sa langue et de l’apprivoiser.

Bien évidemment qu’avant d’être « le lion » de Nietzsche il faut être le « chameau » et emmagasiner sur son dos le savoir, ou plutôt le savoir-faire. Car c’est là le truc : la langue est un savoir-faire, non un savoir. Et franchement, aujourd’hui, je croise très peu de gens incapables de parler français et se faire comprendre à l’oral ou à l’écrit. Car l’apprentissage du savoir-faire se fait en premier lieu dans la famille (le savoir-faire grammatical se fait d’abord et surtout oralement) et à la petite école. Le niveau des gens est globalement bien meilleur qu’au siècle dernier. Pourtant on passe son temps à reprendre n’importe qui sur n'importe quoi. Pourquoi ? Parce que c’est nécessaire ? Ou parce que, comme vous dites, on ne peut pas « laisser chacun écrire comme il veut » ? Cette formule qui me hérisse le poil est encore une fois, tellement parlante « laisser chacun écrire comme il veut » ? Mais enfin, CHACUN ÉCRIT COMME IL VEUT, dieu merci ! Ou faut-il créer une police grammaticale avec tribunal pénal ?

Qu’on se dise une chose : la langue française n’a attendu personne pour naître. Quand elle est née, l’élite la trouvait trop mainstream pour l’écrire. Cette langue « vulgaire », cette langue du peuple est née en dépit du latin, elle a fait ses armes avec la naissance de ce si beau style littéraire, le ROMAN (d’où le nom, roman, « en langue romane »), et je vois d’ici les snobs de l’époque annoncer avec leur gong d’apocalypse que ya plus de jeunesse ma bonne dame et que ce « Conte du Graal » est vraiment une œuvre dégénérée de rappeurs abâtardis islamo-bretons venus coloniser nos contrées romaines.

Qu’on se dise une chose : la langue vulgaire, romane, française, est née sauvagement, dans l’anarchie la plus parfaite, sans support écrit, et elle a crû comme une mauvaise herbe, jusqu’à ce qu’on soit forcé de l’écrire et qu’on se sente obligé de la règlementer. Aujourd’hui, comme toujours d’ailleurs, elle change. Elle s’appauvrit, s’enrichit, fusionne avec d’autres langues, et même, chose incroyable et magique de nos temps modernes, avec d’autres vecteurs de communication…

Et qu’on se dise une chose : avec notre accord ou non, la langue française fera ce qu’elle voudra. Elle deviendra du franglais, de l’arabo-rom (ça fait peur hein Marine ?), et très certainement une toute autre langue que ce qu’elle est aujourd’hui, déjà fort différente du français d’hier. Car de quoi le français est-il le nom ? Avez-vous déjà essayé de lire du français du XVème siècle ? Il faut traduire… Ce n’est plus la même langue. Aussi, la langue française, cette chose mouvante comme le temps qui passe, dont seul le nom est fixe et tangible, et à laquelle nous nous agrippons comme les enfants apeurés à leurs doudous, aussi la langue française fera ce qu’elle voudra. Et même si elle doit disparaître, elle aura le dernier mot. Comme la vie, la langue est un virus. Créez autant de vaccins que vous voudrez… elle mutera. La langue est bien au-delà de nos règles d’orthographe et de nos débats stériles…

Si vous saviez comme je l’aime !

Je pense qu’au fond, nous sommes d’accord, mais nous n’avons pas la même perspective, et, si je puis me permettre, mon cadrage est un poil plus large. Peut-être plus abstrait aussi, je vous le concède.

Il se trouve qu’en plus d’être correctrice je suis aussi rappeuse, et dans un morceau qui défendait la liberté dans le hip hop je disais (remarquez les anglicismes) :

« Le rap t’appartient pas, même si t’étais le godfather,

car le rap est à personne, est à tout le monde, même aux loosers. »

Et bien je pense tout pareil de la langue française.

 

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Commentaires
G
Amazing blog
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J
Merci pour cet article dont j'ai eu connaissance via le bulletin "Classes en lutte". Ça donne envie de relire le joli texte d'Orwell :<br /> <br /> http://www.orwell.ru/library/essays/politics/english/e_polit/<br /> <br /> http://raumgegenzement.blogsport.de/2009/10/27/george-orwell-la-politique-et-la-langue-anglaise-1946/
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F
Bonjour et merci de vos articles. Comme vous, je suis correcteur, et comme vous, sans autre formation que celle de "gros" lecteur. Je ne déteste rien tant que les "puristes" et surtout les puristes correcteurs – j'ai vu récemment, sur un site internet de correcteurs dont je veux oublier le nom, une "nouvelle" se faire insulter parce que son premier post comportait quelques fautes d'orthographe. La misérable prétendait travailler comme correctrice, et osait poser quelques questions pratiques à ces Messieurs (le site avait l'air très machiste). En gros, ils lui ont rétorqué qu'ils ne répondraient pas à ses questions tant qu'elle ne maîtriserait pas mieux l'orthographe. La maîtrise, là est le problème: on dit souvent "maîtriser" (ou pas) une langue. Ce qui est vraiment une vision de tyran qui croit maîtriser son peuple. Dernière remarque à ce propos: je crois que le peuple n'existe que lorsqu'il apparaît en tant que tel – dans la rue, au cours d'une émeute voire d'une insurrection. Le reste du temps, "il manque", comme disait l'autre (le peintre Paul Klee, cité par Deleuze). Et "on" parle à sa place. "On" parle souvent mal: ici je ne suis pas d'accord avec vous quant aux "tics" des journalistes, ou plutôt, je serais d'accord s'il ne s'agissait que de tics. Mais c'est pire. Je crois que les journalistes (des médias du capital, s'entend) usent d'une langue de bois un peu comparable à celle des politiciens et experts en tous genres (enfin, plutôt mâles en général) qui, elle, me semble vraiment abîmer la langue, cette langue métissée, souple et inventive dont vous faites l'éloge à juste titre. Leur langue à eux sent le sapin, si vous voyez ce que je veux dire. Et c'est une bonne action que de dénoncer cet usage – un exemple entre mille: le tir "à balles réelles" sur les manifestants, qui escamote sans autre forme de procès tous les autres projectiles (balles en caoutchouc, flash-balls, grenades lacrymos ou offensives, tous objets qui blessent, voire tuent régulièrement, y compris en France). J'ai une référence là-dessus (pardon si quelqu'un l'a déjà citée, j'avoue ne pas avoir pris connaissance de tous les commentaires): il s'agit de La Langue du IIIe Reich, de Victor Klemperer, qui montre ce que les nazis ont fait à la langue et quels effets cela a entraîné.<br /> <br /> Bref, bravo et encore merci!<br /> <br /> f.
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S
Bonjour. Je suis d'accord dans l'ensemble avec vos positions dans ces deux derniers articles. Je pourrais même ajouter que l'orthographe française est en grande partie aristocratique. Si elle se montre si facilement discriminatoire, c'est probablement parce que c'est sa fonction première : pour les aristocrates qui tuaient le temps dans des jeux d'esprit et de langage et qui cherchaient à justifier la prétendue supériorité de leur état, l'orthographe a été conçue pour filtrer ceux qui méritaient d'accéder à l'écriture et ceux qui ne le méritaient pas.<br /> <br /> Partant de là, on peut rêver d'une vraie réforme "démocratique" de l'orthographe, de fond en comble. Après tout les italiens qui écrivent presque phonétiquement ne sont pas moins cultivés que nous. Et il est vrai que l'orthographe, en particulier lexicale, comporte pas mal de bizarreries inutiles et encombrantes.<br /> <br /> Mais concrètement tout n'est pas si simple. Une bonne partie des difficultés de l'orthographe tient en réalité à la langue elle-même, ce qui limite un peu me semble-t-il la pertinence de votre argumentation de l'article précédent. Certes, l'historique du pluriel en aux des mots en -al est insolite, mais il se trouve justement que cette alternance al/au(x) est une création populaire, et non une prescription de "l'élite" : si on se trouve contraint d'apprendre cette règle c'est parce que les gens prononçaient comme ça. Et c'est ça qui est le plus difficile à apprendre, pas le fait de mettre un x. Le -x est né d'une confusion graphique que vous expliquez très bien, mais en pratique on constate assez peu de fautes à ce sujet.<br /> <br /> Et quand on se demande ce qui pourrait être simplifié, on rencontre assez vite pas mal de problèmes difficiles à résoudre. Faut-il enlever par exemple tout un tas de consonnes finales non prononcées ? Mais alors que faire quand on les entend au féminin ou à la liaison (problème caractéristique du français) ? S'il reste de la place pour un bon toilettage de l'orthographe lexicale, il faut aussi reconnaître que les problèmes les plus fréquents tiennent surtout à l'orthographe grammaticale dont la simplification n'est pas forcément si simple.<br /> <br /> Par ailleurs, je ne suis pas sûr qu'une conception "anarchiste" de la langue et de son vocabulaire soit forcément plus souhaitable qu'un excès de norme. La langue doit évoluer, et se sentir constamment sur la sellette du bien parler est franchement pénible. D'un autre côté, l'acquisition d'un vocabulaire riche et précis passe nécessairement par un peu d'exigence. Je suis navré pour ma part d'entendre parler de stress à tout propos, non parce que le mot est anglais, mais parce qu'il sert de fourre-tout où se perd un large éventail de nuances possibles, allant de la stimulation positive à la terreur. <br /> <br /> L'excès de normes est un carcan ; mais sans aucune contrainte, notre langue évoluerait si vite (comme en ancien-français) qu'on comprendrait à peine ce qui a été écrit au siècle dernier. Reste à trouver l'équilibre entre ces deux extrêmes.
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L
Je ne comprend pas cette insistance que vous avez à réfuter le caractère esthétique de la langue. <br /> <br /> Vous voyez derrière chaque individu persuadé de la bonne tournure de la langue un problème psychologique lié à l'égo. Moi, j'y vois une volonté universalisme esthétique. C'est bien cela dont il est question, et je m'étonne qu'en tant qu'artiste, vous l'oubliez.<br /> <br /> <br /> <br /> Vous posez la question : en quoi il est mal de parler ainsi ou ainsi ? Vous concluez que le mal est dans une volonté de régence du beau parlé. (j'insiste sur le beau). Moi, je me pose la question : en quoi il est mal de considérer qu'il existe un beau parlé sur lequel les gens débattent et cherche à confronter leur vision qui convergent finalement selon l'éducation de leur sens esthétique. <br /> <br /> Le beau a une porté universaliste qu'il est difficile de négliger. Les gens y voient plus que l'expression d'un soi. C'est aussi l'expression (illusoire, mais - et c'est paradoxale - c'est ce qui fait sa matérialité propre et humaine) du beau en tant qu'universalisme. <br /> <br /> <br /> <br /> Et si des gens on tendance à confondre, puisqu'on mélange un peu tout aujourd'hui, n'en déplaise à des analyse qui embrouillent et écartent le sujet. (une histoire de mot plus que de d'orthographe, donc, passons), et que par cette confusion, ils en deviennent hargneux, et qu'ils y mettent de la morale dénudé d'esthétique, le débat du bien parlé/beau parlé, est plus louable que cette dimension pseudo anarchique du : "chak1 parl komm il ve tan kon conpren." <br /> <br /> <br /> <br /> Parce que c'est terriblement pas anarchique. C'est juste bête, réductionniste, et ça ressemble inconsciemment, je n'en doute pas, a une apologie du singularisme et du libéralisme sous sa forme la plus sommaire. <br /> <br /> <br /> <br /> L'éducation se fait par l'effort. Déguisons l'effort par le jeu, pour que l'effort soit plus grand, mais il y a l'effort quand même. Sans cet effort, l'humanité se rabaisse misérablement et devient de plus en plus fainéante. Et adieu l'idéal anarchiste.
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  • Dédié à l'écriture avant d'être dédié à la littérature, ce blog est une auto-exhortation au travail quotidien.Textes anciens ou nouveaux, essais et poèmes viendront y chercher une oreille aussi hypothétique qu'intransigeante.
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