Réponse aux commentaires à propos de l'orthographe
J’avais commencé à répondre à un commentaire sur cet article ce matin, et puis ma réponse a pris de plus grandes proportions car j’ai voulu être exhaustive, notamment parce que nombre de commentaires me disaient la même chose. Pour résumer grossièrement ce qui ressort souvent de vos commentaires, c’est un truc genre : « oui c’est intéressant mais quand même si tout le monde parle comme il veut on se comprend plus ».
Je mets donc ici ma réponse à un commentaire en particulier, si ça peut répondre aux questionnements des autres. Merci en tout cas à tous pour l’intérêt que vous portez à ce petit article que je pensais insignifiant et peu prédisposé à passionner les foules. Je précise si besoin qu’il ne s’agit nullement de vouloir dire autre chose que mon humble avis tout subjectif sur la question.
Bonjour,
Je ne crois pas avoir dit où que ce soit qu’il fallait instaurer "la relativité de la grammaire ou de l’orthographe", que "chacun adapterait à ses propres envies". C’était justement pour me prémunir de ce types de soupçons que j’ai écrit la phrase « Je ne dis pas qu’il faut absolument faire des fautes ou parler chacun une langue incompréhensible pour d’autres. »
Si je parle de « transgresser les règles », c’est bien parce que j’admets l’existence et la nécessité d’une règle.
Comme on soupçonne souvent l’anarchie d’aspirer à un chaos sans lois alors qu’il s’agit d’une théorie politique sérieuse qui envisage la règle sociétale sans hiérarchie et sans oppression, on me fait dire sans cesse, dans tous les commentaires, pratiquement, que je veux une langue française chaotique livrée au bon-vouloir de chacun (et dieu sait que ce bon vieux chacun est inculte !).
Déjà, je ne « veux » rien puisque je pense que ni moi, ni vous, ni aucun académicien n’a de prise sur cette matière vivante qu’est la langue.
Ensuite, ce que j’essaye de souligner dans ce texte, et c’est flagrant dans votre commentaire, c’est cette illusion hallucinante qu’on doit régir la liberté de parler une langue par son peuple. Qu’on (mais qui est ce « on » je me demande, vraiment ? les académiciens ? les politiques ? les profs de français ? le Français qui écrit bien et se croit supérieur à son voisin analphabète ?) sait mieux que « les gens » comment parler une langue qu’ils pratiquent pourtant tous les jours avec succès. Oui, car même en langage SMS, aujourd’hui, les gens se comprennent, et ils ne font pas que communiquer, ils utilisent et créent de la matière linguistique, des images, de l’humour purement lexical, de la poétique. Et je pense qu’une grande majorité de la population n’a jamais entendu parler de Conrart ou de Benveniste et parvient cependant parfaitement à pratiquer la langue française chaque jour.
L’effort d’appropriation d’une langue se fait encore et toujours, et elle se fait très bien dès le plus jeune âge. Elle se fait même chaque jour, il suffit de voir à quelle vitesse les médias diffusent des expressions à la mode, à quelle vitesse les jeunes intègrent, réutilisent et élargissent une nouvelle expression d’argot et les apports d’autres langues. On devrait les recenser chaque années, y en a un paquet. L’effort d’appropriation, c’est aussi l’effort d’adaptation. Et je ne saurais dire qui de l’académicien qui peine à se faire comprendre par « les masses » avec son beau vocabulaire issu des sixties (et je parle là des années 1860, pas 1960 ;) ) ou du rappeur qui emploie un vocabulaire tellement métissé et fouillé dans les thématiques modernes qu’il est quasi-incompréhensible des baby-boomers, lequel de ces deux individus parle le « mieux » le français ?
Bien évidemment que les fautes, surtout certaines, gênent la compréhension et empêchent la communication. Bien évidemment que parfois, quand la syntaxe est tout bonnement incompréhensible, cela dénote une non-maîtrise de la grammaire (car finalement une faute de grammaire est bien plus préoccupante qu’une faute d’orthographe !) et du coup une pensée mal ordonnée… Et ça c’est ennuyeux, car « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » et parce que chacun devrait avoir le droit et le temps de comprendre sa langue et de l’apprivoiser.
Bien évidemment qu’avant d’être « le lion » de Nietzsche il faut être le « chameau » et emmagasiner sur son dos le savoir, ou plutôt le savoir-faire. Car c’est là le truc : la langue est un savoir-faire, non un savoir. Et franchement, aujourd’hui, je croise très peu de gens incapables de parler français et se faire comprendre à l’oral ou à l’écrit. Car l’apprentissage du savoir-faire se fait en premier lieu dans la famille (le savoir-faire grammatical se fait d’abord et surtout oralement) et à la petite école. Le niveau des gens est globalement bien meilleur qu’au siècle dernier. Pourtant on passe son temps à reprendre n’importe qui sur n'importe quoi. Pourquoi ? Parce que c’est nécessaire ? Ou parce que, comme vous dites, on ne peut pas « laisser chacun écrire comme il veut » ? Cette formule qui me hérisse le poil est encore une fois, tellement parlante « laisser chacun écrire comme il veut » ? Mais enfin, CHACUN ÉCRIT COMME IL VEUT, dieu merci ! Ou faut-il créer une police grammaticale avec tribunal pénal ?
Qu’on se dise une chose : la langue française n’a attendu personne pour naître. Quand elle est née, l’élite la trouvait trop mainstream pour l’écrire. Cette langue « vulgaire », cette langue du peuple est née en dépit du latin, elle a fait ses armes avec la naissance de ce si beau style littéraire, le ROMAN (d’où le nom, roman, « en langue romane »), et je vois d’ici les snobs de l’époque annoncer avec leur gong d’apocalypse que ya plus de jeunesse ma bonne dame et que ce « Conte du Graal » est vraiment une œuvre dégénérée de rappeurs abâtardis islamo-bretons venus coloniser nos contrées romaines.
Qu’on se dise une chose : la langue vulgaire, romane, française, est née sauvagement, dans l’anarchie la plus parfaite, sans support écrit, et elle a crû comme une mauvaise herbe, jusqu’à ce qu’on soit forcé de l’écrire et qu’on se sente obligé de la règlementer. Aujourd’hui, comme toujours d’ailleurs, elle change. Elle s’appauvrit, s’enrichit, fusionne avec d’autres langues, et même, chose incroyable et magique de nos temps modernes, avec d’autres vecteurs de communication…
Et qu’on se dise une chose : avec notre accord ou non, la langue française fera ce qu’elle voudra. Elle deviendra du franglais, de l’arabo-rom (ça fait peur hein Marine ?), et très certainement une toute autre langue que ce qu’elle est aujourd’hui, déjà fort différente du français d’hier. Car de quoi le français est-il le nom ? Avez-vous déjà essayé de lire du français du XVème siècle ? Il faut traduire… Ce n’est plus la même langue. Aussi, la langue française, cette chose mouvante comme le temps qui passe, dont seul le nom est fixe et tangible, et à laquelle nous nous agrippons comme les enfants apeurés à leurs doudous, aussi la langue française fera ce qu’elle voudra. Et même si elle doit disparaître, elle aura le dernier mot. Comme la vie, la langue est un virus. Créez autant de vaccins que vous voudrez… elle mutera. La langue est bien au-delà de nos règles d’orthographe et de nos débats stériles…
Si vous saviez comme je l’aime !
Je pense qu’au fond, nous sommes d’accord, mais nous n’avons pas la même perspective, et, si je puis me permettre, mon cadrage est un poil plus large. Peut-être plus abstrait aussi, je vous le concède.
Il se trouve qu’en plus d’être correctrice je suis aussi rappeuse, et dans un morceau qui défendait la liberté dans le hip hop je disais (remarquez les anglicismes) :
« Le rap t’appartient pas, même si t’étais le godfather,
car le rap est à personne, est à tout le monde, même aux loosers. »
Et bien je pense tout pareil de la langue française.